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    27/05/2025

    On l’a accusé de mentir sur son âge

    Le parcours du combattant de Sali, jeune mineure de la protection de l’enfance

    Par Laure-Meriem Rouvier

    Arrivée en France à 16 ans, l’adolescente s’est vue être mise au banc de la protection de l’enfance. Prise en grippe, les obstacles se sont multipliés, au point qu’une fois adulte, on veuille lui retirer la garde de son enfant.

    « Avec eux, je n’allais jamais avoir raison, parce qu’on ne veut jamais t’écouter ! » Sali a la voix ferme quand elle parle des services de la protection de l’enfance (ASE) de la Drôme (26). Cette jeune femme de 21 ans est arrivée en France de Côte d’Ivoire cinq ans et demi plus tôt et a enchaîné les galères et les obstacles au sein de l’organisme français. À StreetPress, elle raconte son arrivée à Valence en 2020. D’abord effrayée par la froideur bureaucratique, elle s’enfuit du Pôle départemental des mineurs non accompagnés, le Samna, et se retrouve à la rue. Là, après avoir rencontré un réseau de personnes qui viennent en aide aux jeunes isolés, elle est emmenée au lieu d’accompagnement et prise en charge par la protection de l’enfance.

    Les ennuis commencent quand elle rencontre Nicolas M., le responsable du Samna, un mois après son arrivée – qui est également président départemental du groupe Renaissance, le parti d’Emmanuel Macron. L’homme lui fait « très peur » et refuse de reconnaître sa minorité, selon ses dires. « Il m’a dit que mon passeport était la preuve du contraire », se rappelle Sali. Et pour cause, sur le document est inscrit qu’elle serait née en 1993. La date est en réalité celle de sa sœur aînée, qui aurait fait son passeport pour une raison sordide : Sali a été vendue comme esclave domestique à une Ivoirienne vivant en France. D’après le Comité contre l’esclavage moderne, 15% des esclaves domestiques viennent de Côte d’Ivoire. Pour sortir de son pays, il fallait qu’elle soit majeure, d’où cette fausse date. « Il ne m’a pas cru quand je lui ai raconté mon histoire », continue Sali. Et puis, preuve irréfutable pour le chef de service, qui lui aurait lancé : « Tu ne t’habilles pas comme les jeunes. » Elle n’est pourtant pas responsable, les vêtements qu’elle porte lui ont été donnés par le Samna…

    La justice reconnaît sa minorité

    Vu qu’ils ne la reconnaissent pas comme mineur, les services veulent l’envoyer dans un Centre d’accueil des demandeurs d’asile (Cada). Face à son refus, parce qu’elle « ne connaît personne là-bas », elle est mise dehors. Là encore, la solidarité se met en place via des personnes engagées localement. Pour faire reconnaître sa minorité, elle saisit la justice avec son acte de naissance, daté de 2003. Si elle est reconnue mineure, le responsable du centre lui met à nouveau des bâtons dans les roues et fait appel. Pour justifier cet acharnement judiciaire, le département défend auprès de StreetPress « qu’il a instruit le dossier sur des bases factuelles » (1). Des éléments qui n’ont pourtant pas été indiqués dans les différentes délibérations du tribunal. Face à cela, l’avocate de Sali, maître Letellier critique :

    « C’était atroce, elle était victime et elle s’est retrouvée coupable. »

    L’ASE accepte tout de même de la loger dans un hôtel social, et de lui faire prendre des cours de français. Comme l’appel doit avoir lieu après sa majorité, le tribunal se déclare incompétent. Sali est finalement officiellement prise en charge par la protection de l’enfance en 2021.

    L’insalubrité ou rien

    Les ennuis continuent pourtant avec Nicolas M. À 18 ans, elle demande à signer un contrat jeune-majeur. Le dispositif lui permettrait de bénéficier d’un accompagnement humain et financier de l’ASE jusqu’à ses 21 ans. Mais l’initiative est refusée par le responsable, toujours peu convaincu par son âge réel. La justice est ressaisie et il est forcé de signer. Sali peut enfin commencer sa vie. Elle change régulièrement de coiffure, passe du blond raide au noir tressé et commence un CAP.

    Au bout d’une année d’étude, elle attend un enfant. Le foyer, financé par le département, veut la mettre dehors. Nicolas M. lui propose de rejoindre un foyer d’accueil pour jeunes mamans. Sali refuse à nouveau. Elle craint un potentiel déracinement :

    « J’ai refusé d’y aller parce que c’était loin de Valence. Je m’étais construit une nouvelle famille ici. »

    Il l’aurait alors menacé de lui prendre son enfant si elle ne trouvait pas d’appartement. Son foyer finit par lui en sous-louer un. L’endroit de 30m2 n’est pas isolé et est rempli de moisissures, ce qui lui vaut une facture d’électricité très salée, pour un loyer de 450 euros par mois. Au RSA, Sali déplore de ne pas avoir eu d’accompagnement humain pour sa grossesse, qu’elle a dû gérer seule. Son CAP en poche, sa fille naît à l’été 2023. Un nouveau coup lui tombe dessus : elle doit trouver du travail dans les deux mois pour que sa carte de séjour soit renouvelée. « J’étais tellement stressée que je n’avais plus de lait », se souvient-elle.

    La menace sur sa fille

    Quatre mois plus tard, elle reçoit un courrier stipulant que son enfant allait lui être retiré. Or, « jamais un éducateur n’est venu nous voir », assure la jeune femme, exaspérée. Le réseau de bénévoles se met une nouvelle fois en branle pour faire réviser la décision, passe des coups de fils, rencontre les services.

    Face au tollé local, le personnel qui lui a envoyé la lettre assure s’être « trompé de destinataire ». Il a promis à Sali une lettre d’excuse. Elle l’attend toujours. La jeune femme aux vêtements cintrés a depuis déménagé, travaille, et regarde sa fille grandir. Mais l’angoisse est toujours là :

    « Si je ne travaille pas, ils vont me prendre ma fille. »

    (1) Contacté par StreetPress, le service de presse du cabinet de la présidente du département de la Drôme a répondu à la place de Nicolas M.

    Illustration de Une de Joseph Colban.

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