Au téléphone, Abdelkader Mahmoudi prévient StreetPress :
« Si jamais vous sortez un article et que derrière vous avez des soucis, (…) si du jour au lendemain il y a des gens qui viennent en bas de chez vous, qui s’en prennent à vous ou quoi que ce soit, moi j’en porte aucune responsabilité. »
Des menaces, mais aussi du harcèlement moral, des insultes et des manipulations dans la sphère sportive et privée : c’est ce que plusieurs athlètes reprochent à l’entraîneur de demi-fond depuis 2023, comme l’a révélé France 3 Grand Est. Si les faits n’ont pas suscité de réaction de la part de son club l’A2M de Metz à l’époque, la fédération française d’athlétisme (FFA) et le Service départemental à la jeunesse et aux sports (SDJES) du Bas-Rhin ont sanctionné Abdelkader Mahmoudi après trois enquêtes distinctes. L’homme de 42 ans est désormais interdit d’entraîner à vie et de courir en compétition en France jusqu’en 2034.
Pourtant, ce dernier continue de coacher bénévolement des athlètes, comme si de rien n’était et malgré les potentielles conséquences judiciaires. Sur ses réseaux sociaux, il raille les sanctions de ce qu’il surnomme « la Fédération française d’amateurisme » et publie l’identité ou les photos des femmes qui témoignent contre lui. À l’entendre, les dirigeants de son ancien club messin le soutiendraient toujours. Dans le débat sur les violences sexistes et sexuelles dans le sport, l’affaire interroge quant à la protection des athlètes majeurs, notamment face à des violences d’ordre psychologique.

La FFA juge les propos de M. Mahmoudi « menaçants ». / Crédits : Capture d'écran
Le sport comme vecteur d’emprise
Emma (1) a été la première à signaler les agissements d’Abdelkader Mahmoudi au club de l’A2M. Après avoir commencé le demi-fond en 2017, la Strasbourgeoise raconte être « repérée » par l’entraîneur lors d’une course en 2019. Il l’ajoute ensuite sur les réseaux sociaux, lui écrit et commence à la conseiller sportivement. Impressionnée par la carrière du coureur médaillé, Emma se sent « écoutée et valorisée » :
« Il disait que l’athlète n’avait pas besoin de penser, que c’était à l’entraîneur de le faire pour lui. Il a réussi à me faire croire que sa présence et ses services étaient vitaux pour que je puisse exister dans ce sport. »
Les deux en viennent à se parler tous les jours jusqu’à ce qu’une relation intime s’installe « insidieusement ». Selon Emma, Abdelkader Mahmoudi se présente comme son entraîneur dans le milieu, alors qu’elle est encore suivie par un ancien coach. Il ne manque aucune de ses courses et scrute chacun de ses footings sur l’application Strava. « Je devais lui reporter tout ce que je faisais. » Il lui aurait aussi envoyé « des salves de SMS agressifs » et menacé de révéler leur liaison si elle ne répondait pas dans l’heure. La saison suivante, il la convainc de le suivre à l’A2M de Metz, club pour lequel il ouvre une section délocalisée à Strasbourg. Une fois mutée, Emma s’entraîne « la plupart du temps seule avec lui ». Elle aurait coupé les ponts avec ses anciens coéquipiers :
« Il m’était interdit de faire un footing avec eux. Il m’a même demandé de les bloquer sur les réseaux sociaux. »

Dans un rapport, la FFA parle d'une situation d'« emprise sur plusieurs athlètes féminines ». / Crédits : Capture d'écran
Quand Emma décide de quitter à la fois l’homme et l’entraîneur, « le harcèlement et les menaces redoublent d’intensité ». Abdelkader Mahmoudi lui aurait d’abord interdit l’accès à la piste où elle s’entraînait. Il continue ensuite de la contacter alors qu’elle lui demande à plusieurs reprises de ne plus le faire. « Nos prochaines courses qu’on va faire ici dans le coin, y’a plutôt intérêt qu’on ne t’y voit pas », la prévient-il dans un message vocal, l’un des 21 laissés sur son répondeur en l’espace d’un an, alors qu’elle l’avait bloqué. Il aurait également géolocalisé son téléphone à son insu, laissé sa voiture garée en bas de chez elle et surgi sur le chemin de son footing à plusieurs reprises. Une fois pour l’insulter de « sale pute », une autre pour lui cracher dessus et la suivre en courant jusqu’à ce qu’elle se réfugie au commissariat, où elle dépose un complément de plainte, après sa première déposition en septembre 2023. Une enquête pénale est en cours.
Une affaire privée aux yeux du club
Avant la police, Emma a envoyé plusieurs SMS au vice-président du club de l’A2M pour lui dire qu’elle est alors sportivement mise en difficulté et harcelée. Dans ces échanges téléphoniques consultés par StreetPress, Dominique Abisse est « désolé », mais se décharge de toute responsabilité : « Vous êtes deux adultes et je vous conseille de régler vos problèmes personnels entre vous. » « Je ne vois pas ce que je peux faire de plus, et surtout en quoi finalement votre différend me concerne », écrit-il même à Emma, qui décide donc de quitter le club en fin de saison. Deux ans plus tard, la position de celui qui est désormais président de l’A2M reste la même dans une réponse écrite à StreetPress :
« Nous sommes un club sportif sérieux et pas un club de rencontres pour adultes en recherche de compagnie. Le différend entre Madame X et Monsieur Y nous est vite apparu comme n’étant pas lié à leur activité sportive mais tout simplement comme étant du domaine privé, et que nous n’avions ni légitimité ni compétence pour intervenir. »
La responsabilité du club est en fait antérieure à ces événements, puisqu’Abdelkader Mahmoudi n’aurait pas dû être autorisé à entraîner. Selon nos informations, l’entraîneur aurait déjà été condamné par la justice en 2013 et en 2014 pour des violences sur son ex-conjointe (2), avant que l’A2M ne lui confie des athlètes en 2019. Son casier judiciaire aurait donc dû lui interdire l’accès à la fonction d’entraîneur, selon le code du sport. Mais à l’époque, l’honorabilité des encadrants n’était pas systématiquement contrôlée. Depuis la loi Abitbol de 2024, un dirigeant qui ne signale pas un comportement à risque pour les licenciés et permet l’intervention d’un entraîneur interdit d’exercice encourt, lui même, une interdiction temporaire ou définitive d’exercer. À ce sujet, l’A2M répond que le président du club de l’époque « était (et est toujours) avocat et donc tout particulièrement sensible au respect de la loi ». Abdelkader Mahmoudi, lui, nie l’existence de ces condamnations.

La FFA relève aussi des propos « hostiles » et « insultants » de la part de M. Mahmoudi. / Crédits : Capture d'écran
D’autres victimes
Au cours de leurs enquêtes, la FFA et le SDJES ont également auditionné deux anciennes athlètes. Comme Emma, ces femmes disent avoir vécu avec Abdelkader Mahmoudi une relation violente, née et entretenue dans le sport au cours des années 2010, selon un mode opératoire similaire. « D’une simple rencontre sur un stade, s’en est suivi une proposition de m’entraîner », puis, « une relation de violences conjugales psychologiques (insultes, menaces, tromperies, chantage, isolement social…) », témoigne la première dans un écrit envoyé aux instances.
La seconde raconte qu’Abdelkader Mahmoudi l’a ajoutée sur les réseaux sociaux avant de l’entraîner, tentant alors de se rendre « indispensable sur le plan sportif et moral ». Depuis qu’elle l’a quitté, il l’aurait déjà suivie dans la rue et insultée en compétition. Il lui aurait également adressé des appels anonymes, des mails et SMS d’intimidation qu’elle a fait suivre aux organes d’enquête, notamment pour la « déstabiliser la veille des courses ». Elle aussi était licenciée à l’A2M et en avait informé son dirigeant, Dominique Abisse, sans qu’il n’y ait eu de suite.
Si le club n’a jamais pris la mesure des faits, les sanctions de la FFA et du SDJES sont tombées en 2024. La FFA lui a d’abord interdit d’entraîner des athlètes pendant cinq ans. Avec l’appui « de nombreux éléments probants », à savoir « des documents médicaux, des messages écrits ou vocaux, des attestations de témoins venant corroborer les allégations des plaignantes », l’instance a considéré que le coach avait exercé « une emprise sur plusieurs athlètes féminines », ce qui a conduit à « leur isolement progressif dans leur vie privée et athlétique par des manipulations psychologiques ».
Le Service départemental à la jeunesse et aux sports (SDJES) a ensuite rendu cette interdiction définitive par décision préfectorale. Mais comme Abdelkader Mahmoudi a poursuivi le harcèlement et intimidé des témoins au cours de ces premières procédures, notamment un dirigeant départemental de la FFA, le sportif a de nouveau été sanctionné par la fédération, en janvier 2025.
Toujours membre du WhatsApp du club
Ces décisions fédérales ont été confirmées en appel au printemps mais elles ne revêtent « aucune valeur juridique et morale » pour l’intéressé, qui assure n’avoir commis « aucune infraction ». Selon Abdelkader Mahmoudi, « toute cette histoire est une supercherie ». « On ne peut pas salir une personne sur des on-dit. » À en croire ses réseaux sociaux, l’athlète courait le 10 kilomètres de Genève en compétition le 10 mai, sponsorisé par la marque Adidas (3).
La FFA lui a retiré sa licence, mais il est toujours membre du groupe WhatsApp de l’A2M. « Les dirigeants de mon ancien club me soutiennent, ils seront les premiers à me reprendre une fois les sanctions annulées », fanfaronne-t-il au téléphone. Il dit avoir formulé un recours auprès du Comité olympique, sans en apporter la preuve. La FFA affirme le contraire : elle n’a reçu aucune notification de recours de la part du comité. Abdelkader Mahmoudi se vante aussi d’entraîner trois fois plus d’athlètes qu’auparavant, dont aucun ne serait licencié à l’A2M. Pour continuer à entraîner sans y être autorisé, il encourt un an de prison et 15.000 euros d’amende. Concernant toutes les procédures en cours, il reste présumé innocent.
Contacté sur le fait qu’Abdelkader Mahmoudi continue d’entraîner, la FFA répond qu’il n’est pas licencié pour la saison 2024/2025 : « Or, la FFA ne peut ouvrir une procédure disciplinaire qu’à l’encontre de ses licenciés. Néanmoins, nous invitons toutes personnes ayant des éléments démontrant que celui-ci continue une activité d’entraînement au sein de l’athlétisme à le signaler à la FFA (signalement@athle.fr) ainsi qu’à la Cellule nationale de lutte contre les violences (signal-sports@sports.gouv.fr). »
(1) Le prénom a été changé.
(2) L’ex-conjointe de M. Mahmoudi aurait également été condamnée pour des violences envers lui à cette époque.
(3) Contacté, Adidas n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress.
Illustration de Une de Zoé Maghamès Peters.
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